Jean-Pierre Obin : « L’islamisme a gagné du terrain partout, à l’école primaire, au collège, au lycée et même dans les établissements privés »

Par Julian Herrero
5 avril 2024 12:37 Mis à jour: 5 avril 2024 22:58

ENTRETIEN – L’ancien inspecteur de l’Éducation nationale et auteur du célèbre rapport « Les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires » en 2004, Jean-Pierre Obin répond aux questions d’Epoch Times sur la montée de l’islamisme à l’école à l’aune des événements qui se sont déroulés au lycée Maurice Ravel à Paris. Dans son dernier ouvrage Les profs ont peur, il recueille des témoignages d’enseignants. Certains d’entre eux lui ont confié qu’ils ne se sentent pas soutenus par leur hiérarchie en cas d’altercation avec un élève. Dans un cas particulier, il y a même eu une collusion entre des militants islamistes et le rectorat. Entretien.

Epoch Times : Le proviseur du lycée Maurice Ravel a démissionné en raison de menaces de mort dont il faisait l’objet. Il avait demandé à une élève de retirer son voile. Vous avez écrit plusieurs ouvrages et effectué de nombreux travaux sur la montée de l’islamisme à l’école et des atteintes à la laïcité. Comment jugez-vous l’évolution de la situation depuis la rédaction de votre rapport de 2004 ? Estimez-vous que les islamistes ont gagné du terrain à l’école ?

Jean-Pierre Obin : J’ai écrit deux ouvrages sur la montée de l’islamisme à l’école ; l’un en 2020, Comment on a laissé l’islamisme pénétrer l’école et, l’an dernier, Les profs ont peur. Dans ces deux livres, je développe précisément l’ampleur de cette progression et tous ses aspects, d’abord territorial, puisqu’il n’y a plus aucun territoire protégé, bien que les zones d’éducation prioritaire soient sans doute plus affectées que d’autres endroits, mais plus aucun territoire n’est épargné.

En 2004, il y avait quelques dizaines d’établissements qu’on avait pu inspecter, mais ce qui s’y produisait n’était pas généralisable. On n’observait pas grand-chose non plus dans l’école primaire. Mais aujourd’hui, un quart des instituteurs déclarent avoir déjà subi des contestations de cours. On note également que l’autocensure se développe dans le primaire, certes pas au même niveau que dans le secondaire puisqu’un enseignant sur deux au collège et au lycée affirme s’être déjà autocensuré, mais le phénomène est bien là.

Il y a une progression générale de la peur des professeurs avec des pointes dans certaines matières. Par exemple, l’histoire-géographie et l’éducation civique sont plus affectées que les autres enseignements par l’autocensure. C’est notamment lié au traumatisme des enseignants d’histoire-géographie après l’assassinat de Samuel Paty.

Donc le paysage n’est plus du tout le même qu’il y a 20 ans. L’islamisme a gagné du terrain partout, à l’école primaire, au collège et au lycée, et même dans les établissements privés.

Vous mettez régulièrement en avant la formation des enseignants comme moyen de lutte contre l’islamisme. Quel type de formation ? Des formations à la laïcité ? Sont-elles suffisantes quand des professeurs ou des proviseurs sont menacés ?

Bien sûr que non. C’est d’abord leur sécurité qui importe. Il y a des mesures de sécurité et d’accompagnement à prendre qui ne relèvent pas de la pédagogie de l’Éducation nationale, mais plutôt des ministères de l’Intérieur et de la Justice. Lorsqu’un professeur est menacé, c’est différent.

Mais pour ce qui est des incidents quotidiens, les plus fréquents et les plus banaux qu’ils soient, je pense qu’une formation est importante et nécessaire. Une formation d’abord pour comprendre la laïcité, pour savoir l’enseigner et la faire respecter. Mais aussi une formation pratique pour affronter les situations les plus fréquentes de contestations de cours ou d’incidents dans la classe.

Aujourd’hui, les enseignants sont très mal formés à la laïcité. Pour s’en convaincre, il suffit de lire ce qu’ils déclarent dans les enquêtes lorsqu’on leur pose des questions à ce sujet. La formation initiale est lourdement critiquée par les professeurs. La moitié d’entre ceux qui en ont bénéficié la trouvent mauvaise, voire très mauvaise.

Mais il y a un autre indicateur visible dans les enquêtes qui est encore plus préoccupant, c’est le rapport qu’entretiennent les enseignants de moins de 30 ans avec la laïcité. Un jeune enseignant sur deux pense non seulement que la loi de 2004 sur les signes religieux à l’école doit être abolie, mais un sur trois que le port de signes religieux comme le voile ou la kippa doit être autorisé aux professeurs. Il y a une rupture totale avec la laïcité.

Ces discours hostiles à la laïcité, séduisent-ils une partie importante du corps enseignant ? Que préconisez-vous pour inverser la tendance ?

Ces discours séduisent une jeune classe d’âge que l’on retrouve à la fois chez les élèves et bien entendu chez les enseignants. Mais si cette idéologie rencontre un certain succès chez les jeunes, lorsqu’on regarde comme je l’ai fait dans mon livre, les différences d’opinions sur des grands sujets sociétaux (antisémitisme, homophobie, égalité homme-femme, laïcité, etc.) entre les lycéens musulmans et les autres lycéens, on remarque qu’il y a une rupture totale entre les opinions des uns et des autres, ce qui permet de modérer le jugement qu’on pourrait porter sur une rupture générationnelle.

Concernant les solutions, je pense qu’il faut lire le rapport du Sénat qui a récemment été publié sur les questions liées à l’islamisme et la protection des enseignants. Il y a 28 propositions et l’une d’entre elles consiste à sortir la formation des enseignants de l’université. Je suis tout à fait d’accord avec cette proposition. Je pense qu’à l’heure actuelle, on ne peut malheureusement pas faire confiance à l’université pour enseigner la laïcité, les valeurs de la République aux étudiants et surtout à ces étudiants particuliers que sont les futurs enseignants.

Dans votre dernier ouvrage Les profs ont peur, vous recueillez des témoignages d’enseignants. Que vous disent-ils ?

Il y a beaucoup de témoignages d’enseignants ou de chefs d’établissement sur l’absence de soutien de leur hiérarchie. Il y a même un cas particulier dans lequel une proviseure raconte la collusion entre des militants islamistes et le rectorat. Cette histoire a déjà quelques années et je suis persuadé qu’aujourd’hui, avec ce qu’il s’est passé notamment au lycée Maurice Ravel, cela ne pourrait plus se produire. Une telle collusion du rectorat serait insoutenable de nos jours. Cependant, il y a beaucoup de témoignages beaucoup plus récents dans mon livre, qui montrent des positions qui restent étonnantes de la part de la hiérarchie.

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